« Construire une stratégie, un exercice de discernement » chronique de Pierre-Yves Gomez dans le monde

Construire une stratégie, un exercice de discernement

Dans sa chronique, le professeur en sciences de gestion Pierre-Yves Gomez estime que la formulation d’un programme stratégique doit à la fois hiérarchiser les contraintes et les moyens d’y répondre, tout en gardant un « idéal commun » qui motive.

Décider d’une stratégie, c’est trancher dans les champs des possibles économiques, sociaux ou politiques. Mais l’efficacité d’une stratégie repose aussi sur la formulation d’un futur de l’organisation suffisamment désirable pour que l’on puisse espérer l’engagement durable des parties prenantes qui coopéreront. Au moment où le conseil d’administration ou l’assemblée générale se prononce pour approuver telle stratégie se joue donc un exercice de jugement qui porte sur ces deux niveaux, afin de dégager et d’assumer un choix final.

Un programme stratégique propose d’abord de décider parmi des actions possibles, dont aucune ne s’impose naturellement. Il est normal en effet qu’il existe des options, parfois fortement divergentes, sans quoi les notions même de choix et de stratégie n’auraient pas lieu d’être. Mais les options n’existent qu’au regard d’une hiérarchie de contraintes et de valeurs que le stratège dresse au préalable et selon laquelle il propose d’agir.

C’est cette hiérarchie qui détermine le contenu et la cohérence interne de la stratégie. Par exemple, considérer l’indépendance capitalistique d’une entreprise comme prioritaire impose des choix économiques qui ne sont pas les mêmes si l’accent principal est mis sur le remboursement de la dette ou sur le rachat d’un concurrent. Un programme stratégique sérieux se présente donc moins comme une liste de solutions que comme une échelle de contraintes à affronter et de priorités à résoudre et face auxquelles les solutions envisagées s’avèrent les plus convaincantes.

Savoir trancher

Mais une stratégie doit aussi offrir une vision du futur qui projette l’organisation vers un progrès sans doute idéalisé mais non pas impossible. Une vision d’une œuvre commune suffisamment attirante pour motiver l’engagement de ceux qui seront impliqués dans sa réalisation. Sauf à croire que les parties prenantes et, en particulier, les collaborateurs ne se nourrissent que de chiffres et de calculs, il faut tenir compte de ce que Bergson appelait l’« énergie spirituelle », sans laquelle les calculs les plus rigoureux restent dépourvus de raison. Elle permet de s’extraire de la boue des contraintes en marchant vers un objectif supérieur commun.

L’exigence du rêve a pour revers un risque de découragement quand l’idéal mobilisateur s’essouffle et se réduit à une suite de petites décisions pragmatiques qui empruntent, parfois, des méandres inattendus. Pour autant, la nécessaire distinction des niveaux ne signifie pas leur opposition : elle invite, au contraire, à évaluer régulièrement la mise en œuvre de la stratégie à l’aune de la vision au service de laquelle elle avait été élaborée.

Dans les moments délicats où il faut trancher entre différentes stratégies possibles se joue donc un double discernement. Le premier invite à comparer les programmes stratégiques selon l’ordre des contraintes et des priorités qu’ils présentent comme étant constitutifs des choix à faire et en fonction desquels seulement la stratégie globale peut être appréciée. Le deuxième discernement demande d’évaluer la cohérence entre ce qui relève de l’idéal commun vers lequel on tend et les décisions pratiques pour y parvenir.

Du fait de la complexité des situations, les choix stratégiques sont rarement simples. La responsabilité des stratèges est de faciliter le travail des décideurs ultimes en opérant eux-mêmes les discernements nécessaires. L’évidence que cela a été fait signe, dès l’abord, la qualité d’une stratégie et elle se mesure à la clarté sereine du discours qui l’énonce.

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