Entrepreneur and Democracy: a political theory of Corporate Governance

Pierre-Yves Gomez et Harry Korine, Cambridge University Press, mai, 2008, 328 p

Résumé

Cet ouvrage montre comment l’entreprise capitaliste est au cœur de la réalisation politique du projet libéral, depuis plus de deux siècles. L’idée dominante en sciences politiques oppose l’Etat au marché, dans la recherche d’un équilibre plus ou moins « libéral » ou « social démocrate ». Les sphères politique et économique sont soigneusement distinguées.

Dans cet ouvrage, nous montrons que cette conception est erronée parce qu’elle néglige le fait que l’entreprise est d’abord une organisation politique, sans doute la plus décisive pour nos sociétés modernes. La véritable articulation se situe donc entre Etat et entreprise. L’entrepreneur, entendu comme force orientant les énergies privées et autonomes par un projet économique est une figure indispensable pour que le projet libéral des Lumières ne reste pas une utopie de salon. De fait, l’analyse historique montre que l’émergence de l’entrepreneur coïncide avec et accompagne le déploiement de ce projet politique. Dans ce cadre, le rôle de l’Etat consiste à assurer une remise en cause permanente du pouvoir entrepreneurial pour respecter le principe de liberté individuelle. Il le fait par deux moyens : le marché, qui met les entreprises en rivalités ; et la démocratie qui légitime le pouvoir en le fractionnant. L’opposition Etat/ entreprise conduit donc à opposer deux forces : d’un côté, la direction entrepreneuriale qui a tendance à empêcher la dispersion des énergies des individus du fait de leur liberté, d’un autre côté, le fractionnement toujours accru du pouvoir dans la société moderne, destiné à interdire une concentration de ce pouvoir attentatoire à la liberté individuelle. De l’équilibre instable des deux forces opposées naît le gouvernement des entreprises comme moyen de discipliner les humains par la production économique. A partir de ce modèle assez simplement exprimé, le livre développe une thèse radicale sur l’évolution de nos sociétés : le déploiement du projet libéral a tendance à démocratiser tendanciellement le gouvernement des entreprises, depuis de siècles. Ainsi, il rend de plus en plus ténue la différence entre la légitimité de la Puissance publique (l’Etat) et celle des Puissances privées (les entreprises). On en arrive à conclure que l’affaiblissement de l’Etat face au « marché » qui est au cœur des débats aujourd’hui est une illusion. Le phénomène réel consiste en une absorption croissante des fonctions de l’Etat par les Entreprises, qui tendent ainsi à saturer tout le champ politique. Cette thèse est démontrée de manière rigoureuse en examinant les travaux des trois grandes disciplines qui ont abordées la question du gouvernement des entreprises : la philosophie politique, l’histoire et l’économie. Dans la première partie, nous examinons comment l’opposition entre la force entrepreneuriale et la fragmentation sociale s’inscrit dans la philosophie politique moderne, depuis le débat fondateur du libéralisme politique entre Hobbes et Locke et est à la racine du gouvernement légitime des entreprises capitalistes.

Dans la seconde partie de l’ouvrage, la plus ample, nous montrons que trois régimes principaux se sont succédés, depuis l’origine du capitalisme, pour constituer la référence établissant le « bon » gouvernement: d’abord le régime familial, puis le régime managérial, enfin le régime que nous appelons « public ». Cette évolution s’est traduit une démocratisation tendancielle du gouvernement des entreprises.

La troisième partie examine la question de l’impact de cette évolution sur la performance des entreprises. Nous confrontons en particulier notre grille de lecture à la théorie économique que le néolibéralisme a récemment promue. Nous montrerons pourquoi, à partir des années 1970, le gouvernement d’entreprise a été posé en termes de plus en plus financiers. En s’appuyant sur le pouvoir des actionnaires et de la finance, la théorie économique contemporaine n’a fait que reformuler le dilemme fondamental de la philosophie politique libérale : équilibrer la force entrepreneuriale qui unifie et la fragmentation sociale organisée par l’Etat.

Nous concluons l’ouvrage sur les évolutions futures prévisibles de l’entreprise capitaliste « totale », qui, en se globalisant, contourne la régulation publique et tend à absorber toute la société. Pour étayer nos analyses, nous avons cherché à éviter le tropisme culturel consistant à fonder une réflexion générale sur les données d’un seul pays ou d’une seule région. C’est pourquoi nous illustrerons nos propos en comparant systématiquement des données de quatre pays : Etats-Unis, Grande-Bretagne, Allemagne et France.

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