La « disruption », le sésame d’une start-up

Article initialement paru dans Le Monde Eco et Entreprise du 7 juillet 2017

Un jeune entrepreneur dans le vent ne crée pas une entreprise : il lance une « start-up ». Nuance. L’esprit du temps distingue désormais la traditionnelle création d’entreprise, celle qui relève de l’économie classique, et le lancement d’une start-up (en français « jeune pousse ») qui s’inscrit, lui, dans le souffle de la révolution technologique. En substituant un terme à l’autre, la rhétorique managériale oppose à l’entreprise d’hier celle qui inaugure une relation radicalement nouvelle tant envers notre passé que notre futur.

Le rapport au passé tout d’abord. Dans l’imaginaire, une start-up est fondée par des entrepreneurs jeunes et audacieux dans le but de développer un projet en rupture avec ce qui se faisait jusque-là. Elle se déploie principalement par l’usage systématique d’une technologie novatrice : le numérique.

Le sésame d’une start-up est la « disruption », terme inventé par le publicitaire Jean-Marie Dru (New : 15 approches disruptives de l’innovation, Pearson, 2016). Est « disruptive » une innovation qui rompt avec la manière de produire – même quand c’est pour produire la même chose. La révolution économique est donc dans la manière de faire.

Devant associer des compétences rares et des technologies maîtrisées par un petit nombre d’experts passionnés, la gouvernance idéale d’une start-up est décontractée, peu hiérarchique, ouverte sur le monde et fondée sans complexe sur l’intérêt privé de ceux qui contribuent au lancement des projets. La loi Macron de 2015 avait d’ailleurs allégé la fiscalité pour l’attribution d’actions aux salariés de ces jeunes entreprises.

Une nouvelle culture des affaires

Le rapport des start-up au futur est tout aussi inédit. A la différence des entreprises traditionnelles, elles ne sont pas créées dans l’intention de durer. Si certaines y parviennent comme Facebook ou Google, beaucoup d’entrepreneurs rêvent de vendre leur start-up dès que se présente une opportunité de réaliser une belle plus-value. Ils peuvent réinvestir l’argent remporté dans une nouvelle aventure : c’est la culture du « serial entrepreneur ».

Le financement de ces projets se fait par des levées de fonds successives auprès de financeurs privés qui parient sur les projets « disruptifs ». Le ressort du jeu est la promesse d’un gain élevé lors de la revente. Il est alimenté par un continuel « storytelling » (« accroche narrative » en français), c’est-à-dire de belles histoires de « disruptions » racontées au marché pour maintenir l’intérêt des investisseurs. L’esprit start-up sécrète ainsi une rhétorique enthousiasmante sur le progrès.

Selon l’Insee, 46 % des entreprises créées en 2016 l’ont été dans trois secteurs parmi les plus traditionnels qu’il soit : le bâtiment, le commerce de détail et le conseil en gestion

Rupture avec le passé et futur exaltant construisent l’imaginaire d’une société inventive, gagnante et en marche vers l’avenir grâce à l’agilité créative qu’offrent les technologies numériques. Captant des ressources humaines et financières, les start-up influencent, bien au-delà de leurs activités, une nouvelle culture des affaires et une manière de gouverner.

Qu’en est-il de la réalité de la création d’entreprise en France ? Selon l’Insee (Félix Bonnetête et Nicolas Bignon, « Les Créations d’entreprises en 2016 », Insee Première n° 1631, voir le PDF), 46 % des entreprises créées l’année dernière l’ont été dans trois secteurs parmi les plus traditionnels qu’il soit : le bâtiment, le commerce de détail et le conseil en gestion.

Moins de 5% des créations

Les start-up technologiques ont représenté moins de 5 % des créations. Ce sont les activités de taxi (VTC) et de livraison à domicile qui ont assuré la plus forte progression d’entreprises nouvelles (+ 56 %) – c’est là que l’on trouve aussi les entrepreneurs les plus jeunes. Un microentrepreneur moyen gagne moins de 5 000 euros par an…

Le géographe Christophe Guilluy a mis au jour une fracture dans la société française entre ceux qui bénéficient de la mondialisation et ceux qui la subissent (Le Crépuscule de la France d’en haut, Flammarion, 2016). On peut constater un divorce similaire dans la France qui entreprend. A l’optimisme de l’esprit start-up fait écho la masse des entrepreneurs qui tâchent de s’adapter à une économie « disruptive » dont la maîtrise leur échappe.

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