En utilisant la métaphore d’une comète fonçant sur la Terre, le film Don’t Look up d’Adam McKay donne à voir différents types de dénis à l’égard du réchauffement climatique : refus de croire, indifférence aux conséquences désastreuses ou optimisme candide persuadé que la technique va tout arranger. Chacune à sa manière, ces postures nient une réalité pourtant aussi visible qu’une comète dans le ciel et le ressort tragi-comique du film tient à l’écart entre l’évidence du phénomène dont le spectateur est témoin et l’aveuglement péremptoire des entrepreneurs et des politiques.
Le succès du film montre, paradoxalement, combien l’avenir de nos sociétés confrontées aux changements climatiques est devenu un sujet d’inquiétude central dans la conscience collective : Netflix n’aurait pas soutenu une telle œuvre si elle n’avait eu aucune chance de toucher un sentiment politiquement partagé et un public large. Calcul réussi si on en croit les dizaines de millions de visionnages du film depuis décembre 2021 et les débats qu’il a suscités.
L’évidence d’un dérèglement climatique dans les prochaines décennies est désormais un lieu commun dans l’esprit du temps, même si on ne connaît pas l’ampleur et la violence de ce bouleversement dont l’échéance dépasse l’expérience humaine courante.
De la financiarisation à la sociétalisation des entreprises
C’est précisément cette incertitude qui a modifié les revendications du public à l’égard des acteurs économiques. Il y a un demi-siècle, la financiarisation avait réduit la création de valeur par les entreprises à quelques résultats financiers polarisant leurs activités. Aujourd’hui, n’attendre d’elles que des profits élevés relève d’un aveuglement dérisoire face à l’urgence des enjeux communs. On leur demande d’anticiper les conséquences que la modification du climat fera peser sur la société. Cela ne se résume pas à quelques bonnes intentions écologiques mais oblige à une reformulation radicale des modèles de production et de consommation de ressources.
Insensiblement, on est passé de la financiarisation à la sociétalisation des entreprises, c’est-à-dire à une évaluation de la production de richesse qui intègre ses effets sur la société tout entière. Est performant un déploiement responsable des activités économiques qui n’épuise pas les ressources présentes ou futures. Mieux encore, les activités sont performantes quand elles ont pour mission de contribuer à atténuer ou à résoudre les problèmes climatiques et sociaux. C’est ce qu’exprime la notion d’impact sociétal.
Des transformations à soutenir
La sociétalisation des entreprises renouvelle en profondeur l’appréciation des objectifs et des modèles stratégiques. En témoignent de nombreuses initiatives comme la Convention des Entreprises pour le Climat où des centaines d’entreprises partagent leurs projets et leurs savoir-faire en matière d’impact. Contrairement à ce que Don’t Look up laisse conclure, l’inertie n’est pas générale dans la société civile et économique et c’est tant mieux.
Reste à savoir si cela reste suffisant et comment le politique pourrait accélérer les initiatives. Car on n’arrêtera pas le réchauffement climatique d’un simple geste, comme on coupe une chaudière. Puisque des millions d’actions autonomes ont conduit à la situation dans laquelle nous nous trouvons, il faudra des millions d’actions contraires pour en modifier les conséquences. Le rôle du politique est de les encourager et de soutenir la sociétalisation des entreprises. En cette année électorale, rien n’est plus urgent que de le faire comprendre.
Version originale de l’article publié dans Le Monde du 25/01/2022