La responsabilité des entreprises est difficile à contrôler

Carlos Ghosn, chairman and CEO of the Renault-Nissan Alliance, gestures as he speaks at a news conference in the southern Indian city of Chennai July 16, 2013. REUTERS/Babu (INDIA - Tags: BUSINESS TRANSPORT) - RTX11O8S

Chronique du Monde du 10 octobre 2019.

Devenue une institution majeure de la société contemporaine, l’entreprise a vu s’élargir le champ de sa responsabilité : d’abord économique et sociale, puis sociétale, politique et environnementale, elle est désormais morale. Il ne s’agit plus de constater a posteriori les impacts qu’elle produit sur son écosystème, mais d’attendre a priori que sa gestion se conforme aux exigences éthiques de la société.

Mais la mise en œuvre d’une telle responsabilité demeure incertaine si on ne sait pas l’imputer concrètement aux acteurs qui, en interne, sont chargés de garantir les pratiques acceptables et d’empêcher les dérives ou les abus. Or il n’est pas aisé de passer de l’idée générale aux processus efficaces, comme le montre l’affaire Renault-Nissan sur le difficile contrôle du comportement d’un grand dirigeant. Dans une entreprise « responsable » comme Renault, les malversations dont est soupçonné l’ancien PDG Carlos Ghosn auraient-elles pu être empêchées, et par qui ?

En théorie, de telles dérives spolient les actionnaires en les privant d’une part de profit et ils révoquent le dirigeant irresponsable. La réalité est moins simpliste. Même fraudeur, un dirigeant peut présenter de bons résultats aux investisseurs, comme le fit M. Ghosn chez Renault, car dans les grandes entreprises des malversations limitées n’entament pas significativement les bénéfices. Ainsi, les profits réalisés grâce aux efforts de productivité des salariés peuvent permettre aux dirigeants de tirer des avantages privés, autant sous forme de bonus légaux que de rétributions personnelles plus opaques.

Dérives et réussites spectaculaires

Le contrôle par les marchés étant approximatif, il a fallu établir des superviseurs autorisés et légitimes, comme les commissaires aux comptes (CAC). Ceux-ci ont le devoir de vérifier la conformité des opérations comptables de l’entreprise et ils engagent leur propre réputation. On peut s’étonner que, malgré l’accumulation de fraudes imputées à M. Ghosn, la responsabilité des CAC successifs de Renault n’ait pas été beaucoup relevée. Ils plaideront sans doute qu’il était difficile de déceler des abus portant sur des montants faibles comparés aux flux financiers énormes que génère une telle entreprise. Peut-être, mais cela laisse planer un doute global sur la fiabilité de leur contrôle.

Le conseil d’administration est aussi supposé exercer une vigilance sur d’éventuelles dérives du dirigeant. Celui de Renault est doté d’un comité d’audit, d’un comité de la gouvernance et des rémunérations, et d’un comité de l’éthique et de la responsabilité sociale et environnementale (RSE).

Reste à savoir ce que ces comités peuvent effectivement contrôler. Leur mission devient particulièrement incommode quand le président du conseil d’administration qu’il s’agit de surveiller est une personnalité charismatique et performante comme M. Ghosn. Ses excès ou ses dérives étaient couverts par les réussites spectaculaires qui assuraient sa légitimité d’entrepreneur. Délicat de le suspecter sans mettre en cause celle-ci…

Les multiples difficultés du contrôle doivent être surmontées si on veut que la responsabilité éthique des entreprises ne soit pas réduite à une abstraction complaisante et constitue, de ce fait, une source de frustration et de défiance publique accrue. Les obligations et les moyens nécessaires pour exercer efficacement le pouvoir de veiller aux engagements des grandes entreprises seront au cœur des prochaines réformes de leur gouvernance. On pourra ainsi éviter que leur responsabilité ne soit discutée qu’à l’occasion de sordides scandales.

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