La littérature gestionnaire en matière de RSE et de développement durable, d’influence majoritairement anglo-saxonne, est polarisée autour de deux grands axes : l’éthique et la stratégie des affaires (Gendron, 2000 ; Porter et Kramer, 2006). Largement centrées sur l’individu, ces deux perspectives reposent sur l’hypothèse implicite que la conduite des entreprises est une question de volonté individuelle et qu’une fois les objectifs clairement arrêtés, l’intendance organisationnelle suivra.
De l’aveu de certains de ses principaux représentants, le champ ‘Business & Society’ conserve une position marginale au sein de la recherche en management (Wood, 2000), est peu ancré dans le reste des sciences sociales ( Preston & Post, 1975; Crouch, 2006) et en particulier dans les grandes théories des organisations (Ghoshal, 2005; Donaldson, 2008). L’évacuation des dimensions organisationnelles de l’analyse constitue une faille importante de cette littérature qui semble accorder peu d’importance aux transformations concrètes de l’organisation.
Le problème est aussi pratique, dans un contexte où les initiatives des entreprises sont de plus en plus nombreuses et font l’objet de stratégies assumées et largement relayées auprès des parties prenantes (Aggeri et al., 2005). Pour les entreprises engagées dans de telles démarches, les notions de RSE et de développement durable ne renvoient pas seulement à des enjeux éthiques. Ils mettent en jeu la conception de nouveaux produits, la transformation des processus de production et la conduite de processus de changement organisationnel transversaux. Quelle que soit la bonne volonté des dirigeants pour les promouvoir, ces initiatives se heurtent fréquemment à des résistances et des inerties organisationnelles qui peuvent remettre en cause leur capacité de changement.
C’est précisément ce constat qui, dans le courant des années 1970, a été le point de départ d’un programme de recherche sur la Corporate Social Responsiveness au sein de la Harvard Business School aux Etats-Unis. Pour R. Ackerman et R. Bauer, les deux auteurs qui en sont à l’origine, la bonne volonté des dirigeants ne suffit pas, et les enjeux moraux associés aux démarches de RSE ne sauraient éclipser les problèmes managériaux et organisationnels posés par de tels programmes (Ackerman, 1973 a et b; Ackerman, 1975 ; Ackerman et Bauer, 1976).
Ces travaux, qui restent selon nous d’une richesse inégalée, sont les premiers à analyser et modéliser les démarches et instruments mobilisés par les entreprises afin de gérer leur responsabilité sociale. Par ailleurs, ils font partie des rares approches à resituer la complexité de l’action du dirigeant en matière de RSE, à ne pas traiter l’organisation comme une « boite noire » mais à s’intéresser à sa structure, ses outils, et à intégrer des éléments de théories des organisations pour la compréhension de ses dynamiques. Cet effort dénote aussi la volonté des auteurs de traiter les questions sociales comme un enjeu de management ordinaire et ainsi d’ancrer le champ naissant ‘Business & Society’ dans les avancées de la théorie des organisations et du management stratégique. Ainsi, pour ce courant de recherche, c’est un dirigeant encastré dans une organisation complexe – à la stratification hiérarchique marquée – qu’il s’agit d’analyser. Au-delà du témoignage historique des pratiques d’entreprise en matière de RSE, ces travaux constituent une référence particulièrement pertinente, plus de 30 ans après leur publication, pour l’analyse et la compréhension des dynamiques organisationnelles en matière de développement durable et de responsabilité sociale de l’entreprise.
En dépit de son intérêt aussi bien théorique que pratique, ce courant de recherche a eu une influence relativement limitée sur les travaux ultérieurs aussi bien dans le champ ‘Business & Society’ que dans celui du management stratégique. Il s’agit donc de donner à voir son contenu et de comprendre pourquoi les apports de ce courant ont été relayés au second plan.
Cet article est structuré en trois parties. Nous revenons dans un premier temps sur le contexte d’émergence historique de ces travaux (I). Nous développons ensuite les principaux apports de ce courant de recherche (II) et terminons en présentant des éléments d’éclairage sur le destin de la corporate social responsiveness (III).