L’écologie, un vecteur de la gouvernance mondiale

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Ecologie et gouvernance

Le One Planet Summit, organisé par la France, le 12 décembre 2017, a voulu clore l’année sur une note optimiste. Deux ans après la COP21, qui avait réuni 196 Etats à Paris pour tenter de définir une politique de lutte commune ­contre le réchauffement climatique, le président Macron a invité cette fois des entreprises, des financiers et de riches philanthropes à ­s’engager sur l’avenir de la planète.

Les discours ont affirmé qu’on ne pouvait se contenter de paroles et que, face à la lenteur des politiques, il fallait miser sur l’efficacité entrepreneuriale. Le salut viendrait en particulier d’une réorientation de l’épargne des ménages ou des fortunes privées vers des investissements dans les énergies ­renouvelables. Ainsi ont pu être tracées les perspectives d’une puissante « finance verte », que symbolisait la participation au sommet de Bill ­Gates.

Celui-ci a fondé, en 2015, la Breakthrough Energy Coalition pour investir dans le solaire et l’éolien les dotations d’une trentaine de ­milliardaires, dont les principaux magnats de la Silicon Valley. Trois milliards d’euros auraient été levés – dont deux apportés par M. Gates.

« Pacte mondial »

Or, quelques semaines auparavant, le Consortium international des journalistes d’investigation avait publié l’enquête dite des « Paradise Papers ». Elle révélait comment des entreprises, des financiers ou de riches particuliers pratiquent massivement l’optimisation fiscale. Celle-ci consiste à gérer les flux de trésorerie interne de manière à payer ses impôts dans les pays où la taxation est la plus faible.

On estime à 350 milliards d’euros le manque à gagner pour les Etats. Cette pratique ne viole pas la loi, mais joue sur la concurrence législative que se font les pays pour attirer chez eux soit les emplois, soit les profits des ­sociétés transnationales. Des cabinets de conseil spécialisés dans l’op­timisation fiscale ont pignon sur rue. De même, les paradis fiscaux sont souvent des pays respectables : la ­revue Forbes a publié, en 2010, un classement des dix plus attirants d’entre eux.

Cinq pays européens (le Luxembourg, la Suisse, le Royaume-Uni, l’Irlande et la Belgique) et un Etat américain (le Delaware) y figuraient. L’optimisation fiscale est considérée comme une pratique de bonne ­ges­tion permettant d’accroître les profits des entreprises globalisées. La plupart d’entre elles font aussi partie des 12 000 firmes de 170 pays qui ont signé le « Pacte mondial » (Global Compact), adopté en 2000 à l’initiative des Nations unies, par lequel elles s’engagent à respecter les droits de l’homme, le droit du travail, l’environnement et à lutter contre la ­corruption.

Enjeu de recomposition

Un esprit chagrin pourrait dénoncer l’hypocrisie de ces entreprises, de ces financiers et de ces riches particuliers qui prétendent vertueusement sauver la planète face à l’incurie des Etats, mais qui considèrent comme rationnel de participer le moins ­possible au financement des infrastructures de ces mêmes Etats… La ­ci­toyenneté revendiquée ici est démentie là par la maximisation du profit privé. Une contradiction qui semble réduire la supposée responsabilité sociale de l’entreprise à un masque de respectabilité.

Cette critique ne dit pourtant pas le fin mot de l’histoire. Depuis deux décennies, la gouvernance transnationale se bâtit sur l’hypothèse que les entreprises sont, selon les mots mêmes du Pacte mondial, « le moteur ­essentiel dans le cadre de la mondialisation ». La contradiction entre leur engagement citoyen et leurs pratiques d’optimisation fiscale traduit peut-être moins une duplicité de leur part qu’un rapport de force assumé : entreprises, financiers et riches philanthropes se considèrent comme plus légitimes et plus efficaces que les Etats pour conduire les affaires du monde, y compris pour sauver la planète. La mise en scène du One Planet Summit nous a spectaculairement rappelé que l’écologie est aussi un enjeu de cette recomposition de la gouvernance mondiale.

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