La Politique Agricole Commune (PAC) a beaucoup fait pour moderniser le secteur agricole, assurer la compétitivité de l’industrie agro-alimentaire et sécuriser les besoins alimentaires des mangeurs européens. La PAC a timidement pris le tournant de la durabilité à partir des années 2000. Cette ambition vient d’être réaffirmée à travers le pacte vert signé en 2019 sans que les moyens à allouer soient clairement définis. Si cette ambition de durabilité doit permettre d’atténuer les impacts sur l’environnement et le système Terre, la prochaine PAC passe à côté de l’essentiel : l’adaptation au changement climatique. Nous entrons dans une nouvelle dynamique du système Terre – l’Anthropocène – qui fragilise grandement l’agriculture européenne. Face à cette transformation gigantesque et irréversible, la PAC doit mettre au cœur de sa raison d’être une stratégie d’adaptation afin de faire émerger de nouvelles pratiques et connaissances agricoles en phase avec le nouveau régime climatique qui s’installe en France et en Europe.
A l’origine, la PAC ne s’est pas souciée des questions environnementales et des enjeux de durabilité. C’est seulement à partir des années 2000 que des aides ont été développées pour encourager des pratiques et des initiatives qui visent à limiter les impacts sur l’environnement et le système Terre. Cette ambition est réaffirmée dans le projet de la prochaine PAC et le « pacte vert » adopté par l’Union Européenne en 2019. Cet objectif de verdissement poursuit un objectif d’atténuation des impacts de l’activité agricole sur l’environnement. L’ambition consiste à réduire les externalités négatives rejetées sur le système Terre (gaz à effet de serre, dégradation des sols, réduction de la biodiversité, qualité de l’eau…). Cette ambition qui consiste à limiter les impacts négatifs est sans aucun doute indispensable mais elle passe à côté d’un évènement d’une ampleur considérable : la transformation du système Terre et l’entrée dans l’ère géologique de l’Anthropocène.
Cette nouvelle donne climatique n’est pas absente de la PAC mais elle est abordée seulement avec un objectif d’atténuation. Il s’agit de faire en sorte que l’agriculture dégrade le moins possible les équilibres du système Terre. Mais le système Terre va inévitablement se transformer et il nous faut penser une politique d’adaptation. Car si nous ne faisons rien, notre agriculture et nos systèmes alimentaires que nous croyons durables et robustes vont se fragiliser. Il suffit de regarder l’année 2021 et sa série continue de calamités agricoles pour comprendre que quelque chose de très important est en train de se passer. La question agricole et alimentaire va faire son grand retour dans les années qui viennent car l’Anthropocène complique l’activité agricole quand elle ne la rend pas tout simplement impossible dans certaines régions.
Face à cette transformation des équilibres du système Terre et les complexifications qu’elle entraine dans l’activité agricole, la PAC ne peut pas ne pas changer ses orientations. Les objectifs de compétitivité et d’insertion avantageuse sur les marchés mondiaux apparaissent de plus en plus anachroniques face aux difficultés de production et d’accès à l’alimentation des mangeurs européens qui vont aller de manière croissante. C’est à cet égard que la PAC devra mettre au cœur de sa raison d’être une stratégie d’adaptation à la nouvelle donne climatique afin de sécuriser l’accès à l’alimentation.
Cette stratégie d’adaptation doit mieux préparer les entreprises agricoles à des évènements climatiques extrêmes (sécheresses, épisodes de gel tardif, excès de précipitation, canicules et vagues de chaleur) qui peuvent conduire à des baisses substantielles des rendements et de la qualité des matières premières. Cette stratégie d’adaptation passe également par un nouveau rapport à quatre ressources mobilisées dans le cadre de l’activité agricole : l’eau, l’air, la biodiversité et les sols. L’état et la disponibilité de ces ressources vont être impactés par les transformations du climat et, en fonction des territoires, les entreprises agricoles devront avoir des pratiques qui permettront de limiter leur sensibilité aux variations. Il est enfin important de souligner que cette stratégie d’adaptation ne se décrète pas et que les premiers concernés – les agriculteurs – ne peuvent pas trouver et inventer les solutions possibles. C’est tout l’accompagnement de la profession agricole qu’il faut repenser pour préparer les entreprises agricoles à l’échelle des territoires et des biorégions.
Les objectifs d’atténuation et d’adaptation doivent être simultanément tenus et convergent aujourd’hui vers le déploiement d’une agriculture dite régénératrice. Si elle fait l’objet de débats et de propositions de définitions qui ne sont pas encore clairement stabilisées (Giller, Hijbeek, Andersson, & Sumberg, 2021). L’agriculture régénératrice est porteuse d’une nouvelle ambition : mieux prendre en considération et régénérer les biens communs que sont l’eau, l’air, le sol et la biodiversité dans l’exercice de l’activité agricole (Anderson & Rivera-Ferre, 2021; Valiorgue, 2020). C’est en effet en étant attentif à l’utilisation de ces ressources essentielles que l’on développe une dynamique simultanée d’atténuation et d’adaptation. C’est en cultivant et développant la biodiversité sur une exploitation agricole que l’on développe des services écosystémiques et une bio-régulation face à l’émergence de nouveaux ‘nuisibles’ qui se développent du fait du changement climatique. C’est en préservant les sols et en les rendant le plus vivant possible que l’on parvient à encaisser des aléas climatiques comme des sécheresses ou des précipitations abondantes (Toensmeier, 2016). L’agriculture régénératrice est aujourd’hui portée par des ONG, des activistes et des grands opérateurs des filières alimentaires qui sont pressurisées par la multiplication des critiques. Elle renvoie à des pratiques agronomiques et zootechniques différents (Giller et al., 2021) mais toutes convergent vers une même ambition : construire une activité agricole qui prend en considération les équilibres du système Terre et s’adapte à leurs évolutions.
Le nouveau régime climatique qui se met en place percute directement la PAC qui ne peut pas rester sur la trajectoire qui est la sienne aujourd’hui. Nous devons bifurquer vers une agriculture d’atténuation et d’adaptation. La période qui s’ouvre implique une réinvention de la PAC dans des proportions considérables avec cependant un objectif qui n’a jamais varié et qui ne fera que se renforcer : assurer la sécurité alimentaire des mangeurs européens. La PAC doit devenir une véritable politique agricole qui sans rejeter bien évidemment l’objectif de maitrise des dépenses alimentaires doit penser l’atténuation et l’adaptation à travers une politique intégrée et la promotion d’un modèle agricole européen pleinement assumé et seul capable de relever le gigantesque défi alimentaire de l’Anthropocène.
Bibliographie indicative
Anderson, M. D., & Rivera-Ferre, M. (2021). Food system narratives to end hunger: extractive versus regenerative. Current Opinion in Environmental Sustainability, 49, 18-25.
Giller, K. E., Hijbeek, R., Andersson, J. A., & Sumberg, J. (2021). Regenerative Agriculture: An agronomic perspective. Outlook on Agriculture, 50(1), 13-25.
Valiorgue, B. (2020). Refonder l’agriculture à l’heure de l’Anthropocène. Lormont: Le Bord de l’Eau.
Pour citer l’article : Valiorgue, B. (2022). Quelle raison d’être pour la PAC à l’heure de l’Anthropocène ?. Pour, 243, 73-79.