Réforme des retraites : Peut-on vraiment parler de “résistance au changement” ?

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La réforme des retraites a débouché sur une crise sociale qu’on a parfois interprétée, de manière un peu simpliste, comme une incapacité congénitale de la France à se réformer. Pourtant, on ne compte pas les réformes qui, depuis quarante ans, ont été engagées par les gouvernants successifs dans tous les domaines, éducation, travail, retraite, santé… La France semble plutôt être une championne des réformes à répétition.

Il est vrai que la façon dont celle-ci a été menée pourrait servir de cas d’école sur ce que les manageurs appellent la résistance au changement. Depuis les années 1980, les entreprises sont, elles aussi, des championnes de la réforme permanente de leurs structures, de leurs processus ou de leurs règles. L’implication des collaborateurs dans ces changements est indispensable. Que nous enseigne, à ce propos, la récente réforme des retraites ?

Essentiellement, que la prise en considération des différentes raisons de résister à un projet de changement détermine sa réussite. On en relève au moins quatre.

D’abord, les collaborateurs résistent quand ils ne comprennent pas en quoi le changement est nécessaire. En réponse, on déploie une communication intense, en faisant le pari que s’ils saisissent l’urgence du changement, ils y adhèrent. Il ne faut pourtant pas abuser de cette hypothèse : l’expérience montre que ceux qui résistent sont souvent convaincus que les choses doivent évoluer. Les enquêtes révèlent, par exemple, qu’une grande partie des Français pensent que l’âge de la retraite sera repoussé, et pourtant une majorité d’entre eux ont soutenu le mouvement social contre la réforme.

Changement et réalité vécue

Deuxième raison de résister, la mise en cause des avantages propres à des minorités actives. Les exemples n’en ont pas manqué sur les régimes de retraite. Mais même quand les promoteurs du changement sont exemplaires sur le sujet, ils ne peuvent pas s’étonner qu’il faille affronter ceux qui défendent leurs privilèges. Le plus étonnant, c’est quand les non-privilégiés ne les soutiennent pas.

Cela peut tenir au fait que ceux-ci ne voient pas en quoi le changement proposé améliore leur propre situation. C’est une troisième raison de résister : les initiateurs sont dans l’incapacité de préciser quels seront les effets positifs du changement proposé. On voit ce qui est détruit, pas ce qui est construit. Ainsi en a-t-il été quand les autorités n’ont pas été en mesure de chiffrer les économies attendues ou de proposer un simple simulateur permettant le calcul des retraites après réforme.

Quatrième raison de résister, la plus forte : le changement proposé paraît contradictoire avec la réalité vécue. Ainsi, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le taux d’emploi des 60-64 ans, en 2018, est de 30 % en France, du fait du chômage, des arrêts maladie de longue durée ou des retraites anticipées. Allonger le temps d’activité professionnelle jusqu’à 64 ans suppose de créer des milliers de postes pour les seniors. Or, ni la culture actuelle des entreprises, ni aucun engagement préalable à la réforme n’ont rassuré en ce sens. D’où le sentiment anxiogène qu’on aura à travailler plus longtemps dans une société où il n’y a déjà pas assez d’emplois pour les plus âgés.

Finalement, la plus grande erreur consiste à croire que les raisons de résister au changement sont toujours infondées et qu’elles ne peuvent pas enrichir le projet de transformations. Arrogance souvent fatale aux réformes, et qui explique peut-être que, comme le notait déjà Vauban, en 1671, « les Français commencent tout mais n’achèvent rien ».

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